S. m. (Morale) c'est un acte excellent de bienveuillance envers ceux qui se sont montrés bienfaisants envers nous, et cet acte nous excite fortement à rendre la pareille autant que nous le pouvons, mais toujours sans donner aucune atteinte au bien public. Si vous aimez mieux une définition plus courte et moins philosophique, la reconnaissance est le sentiment d'un bienfait qu'on a reçu.

Ce sentiment attache fortement au bienfaiteur avec le désir de lui en donner des preuves par des effets sensibles, ou du-moins d'en chercher les occasions.

Il ne faut point confondre ce sentiment noble et pur avec une adulation servile, qui n'est autre chose qu'une demande déguisée. On ne voit que trop souvent de ces bas adulateurs toujours avides, jamais honteux de recevoir, se passionnant sans rien sentir, et prodiguant des éloges pour obtenir de nouvelles faveurs. Leurs propos, leurs transports, leurs panégyriques annoncent la fausseté. La reconnaissance, de même que l'amour, ne s'exprime peut-être jamais de si mauvaise grâce que quand elle est véritable.

" Les branches d'un arbre, dit le Bramine inspiré, rendent à la racine la seve qui les nourrit ; les fleuves rapportent à la mer les eaux qu'ils en ont empruntées. Tel est l'homme reconnaissant : il rappelle à son esprit les services qu'il a reçus, il chérit la main qui lui fait du bien ; et s'il ne peut le rendre, il en conserve précieusement le souvenir. Mais ne reçais rien de l'orgueil ni de l'avarice ; la vanité de l'un te livre à l'humiliation, et la rapacité de l'autre n'est jamais contente du retour quel qu'il puisse être ".

Je veux même que la reconnaissance coute à un cœur, c'est-à-dire qu'il se l'impose avec peine, quoiqu'il la ressente avec plaisir, quand il s'en est une fois chargé. Il n'y a point d'hommes plus reconnaissants que ceux qui ne se laissent pas obliger par tout le monde ; ils savent les engagements qu'ils prennent, et ne veulent s'y soumettre qu'à l'égard de ceux qu'ils estiment. On n'est jamais plus empressé à payer une dette que lorsqu'on l'a contractée avec répugnance, et l'honnête-homme qui n'emprunte que par nécessité gémirait d'être insolvable.

Comme les principes des bienfaits sont fort différents, la reconnaissance ne doit pas être toujours de la même nature. Quels sentiments, dit très-bien M. Duclos, dais-je à celui qui par un mouvement d'une pitié passagère n'a pas cru devoir refuser une parcelle de son superflu à un besoin très-pressant ? Que dais-je à celui qui, par ostentation ou par faiblesse, exerce sa prodigalité sans acception de personne, sans distinction de mérite ou d'infortune ? à celui qui par inquiétude, par un besoin machinal d'agir, d'intriguer, de s'entremettre, offre à tout le monde indifféremment ses démarches, ses sollicitations et son crédit ? Mais une reconnaissance légitime et bien fondée emporte beaucoup de goût et d'amitié pour les personnes qui nous obligent par choix, par grandeur d'ame et par pure générosité. On s'y livre tout entier, car il n'y a guère au monde de plus bel excès que celui de la reconnaissance. On y trouve une si grande satisfaction, qu'elle peut seule servir de récompense.

La pratique de ce devoir n'est point pénible comme celle des autres vertus ; elle est au contraire suivie de tant de plaisir, qu'une âme noble s'y abandonnerait toujours avec joie, quand même elle ne lui serait pas imposée : si donc les bienfaiteurs sont sensibles à la reconnaissance, que leurs bienfaits cherchent le mérite, parce qu'il n'y a que le mérite qui soit véritablement reconnaissant. (D.J.)

RECONNOISSANCE, RESSENTIMENT, (Synonyme) ces deux mots désignent une même chose, avec cette différence que le second seul et sans régime signifie ordinairement le ressouvenir d'une injure, le dépit, la colere, en sorte que c'est ce qui précède et ce qui suit, qui le détermine en bonne ou en mauvaise part ; néanmoins ressentiment au pluriel ne se prend jamais dans un sens favorable.

Le poids de la reconnaissance est bien léger quand on ne le reçoit que des mains de la vertu ; mais affecter de la reconnaissance pour des grâces qu'on n'a point éprouvées, c'est travailler bassement à en obtenir. S'il est d'une belle âme, d'avoir un tendre et vif ressentiment des bienfaits qu'elle reçoit, il n'en résulte cependant pas qu'il faille conserver un ressentiment vindicatif des injures qu'on nous fait, parce que le christianisme demande le sacrifice de notre ressentiment ; d'ailleurs on doit toujours consacrer ses ressentiments particuliers au bien de l'état et à l'avancement de la religion.

Il y a des prétendus actes de reconnaissance qui ne sont que des procédés, quelquefois même intéressés, comme il y a chez les amants, des témoignages de colere et de ressentiment, qui ne sont que des signes d'une passion prête à se réveiller avec plus de force.

Quelques hommes offensent, et puis ils se fâchent ; la surprise où l'on est de ce procédé ne laisse pas de place au ressentiment : quelques-uns se vantent de services qu'ils ne vous ont point rendus, et par-là ils vous dégagent des liens de la reconnaissance.

On se loue des grands, on s'épuise en termes de reconnaissance ; cela signifie souvent qu'on se loue soi-même, en disant d'eux tout le bien qu'ils nous ont fait, ou même qu'ils n'ont pas songé à nous faire. On loue les grands, pour marquer qu'on les voit de près, rarement par estime ou par reconnaissance : on ne connait pas souvent ceux que l'on loue. La vanité ou la légèreté l'emportent quelquefois ; on est mal-content d'eux, et on les loue.

Pison, après la mort de Germanicus, se rendit auprès de Drusus, en qui il comptait trouver moins de ressentiment de la mort d'un frère, que de reconnaissance de l'avoir défait d'un rival. (D.J.)

RECONNOISSANCE, en Poésie dramatique ; la reconnaissance, dit Aristote, est, comme son nom l'indique, un sentiment qui faisant passer de l'ignorance à la connaissance, produit ou la haine ou l'amitié dans ceux que le poète a dessein de rendre heureux ou malheureux. Aristote remarque ensuite que la plus heureuse reconnaissance est celle qui cause la péripétie, laquelle change entièrement l'état des choses.

La reconnaissance est simple ou double : la simple est celle où une personne est reconnue par un autre qu'elle connait : la double est quand deux personnes qui ne se connaissaient point viennent à se reconnaître, comme dans l'Iphigénie d'Euripide, où Oreste reconnait cette princesse par le moyen d'une lettre, et elle le reconnait par un habit, en sorte qu'elle échappe des mains d'un peuple barbare par le secours d'Oreste, ce qui contient deux reconnaissances différentes qui produisent le même effet.

Les manières de reconnaissance peuvent être extrêmement diversifiées, et dépendent de l'invention du poète : mais quelles qu'elles soient, il faut toujours les choisir vraisemblables, naturelles, et si propres au sujet, que l'on ait lieu de croire que la reconnaissance n'est point une fiction, mais une partie qui nait de l'action même.

La reconnaissance se fait quelquefois par le raisonnement. C'est ainsi que Chrysothemis reconnait dans l'Electre de Sophocle qu'un de ses parents est arrivé dans Argos, parce qu'elle voit sur le tombeau d'Agamemnon une grande effusion de lait, quantité de fleurs répandues et des cheveux arrachés, ce qui ne pouvait être l'action que d'un parent de ce prince. Elle fait alors les recherches pour tâcher de le découvrir, et enfin elle rencontre Oreste qui était venu en secret pour venger la mort de son père, à qui il avait offert un sacrifice funèbre, selon la coutume.

De toutes les beautés de la tragédie, les reconnaissances sont une des plus grandes, surtout celles où la nature se trouve intéressée : car indépendamment des tendres mouvements qu'elle excite par elle-même, c'est aussi par-là qu'elle parvient au but principal de la tragédie, qui est de produire la terreur et la pitié. Dans Sophocle, la reconnaissance d'Oedipe et de Jocaste qui passe par tant d'incidents, y prend tout ce qu'il faut pour frapper plus heureusement le coup de terreur, si j'ose ainsi parler, et qui fait d'autant plus d'impression qu'il est suivi d'un changement de fortune dans les principaux personnages.

Remarquez encore que ce changement d'état se fait si immédiatement après la reconnaissance, que le spectateur n'a pas le temps de respirer, et que le tout se passe dans la chaleur de ses mouvements. C'est ce qui fait dire à M. Dacier que la reconnaissance de l'Electre du même poète n'est pas, à-beaucoup-près, si vive ni si belle, parce qu'elle est éloignée de la péripétie ; car après qu'Oreste et Electre se sont reconnus, ils sont encore du temps dans le même état, et ils ne changent de fortune que par la mort de Clytemnestre et d'Egiste.

Ce n'est qu'entre les principaux personnages d'une tragédie que les reconnaissances produisent leur grand effet, et ce n'est aussi que des circonstances où elles sont placées que dépend leur véritable beauté. Dans l'Oedipe, c'est de la mère à son fils ; mais par cette reconnaissance, ce fils Ve se trouver l'époux de sa mère et le meurtrier de son père, dont la mort lui a servi de degrés pour monter au trône, et le triste moyen de contracter une alliance incestueuse qui met le comble à ses infortunes.

Nous avons quelques tragédies où l'on a employé des moyens particuliers de reconnaissance, dont l'antiquité n'a pas fait usage ; c'est au son de voix que Zénobie reconnait Rhadamiste. Comme le son de la voix se perd moins à un certain âge que les traits de ressemblance, c'est lui qui dans cette belle tragédie prépare la reconnaissance, et qui aide à rappeler les traits d'un visage que dix années d'absence ont dû masquer, et qui lui rend sa première fraicheur aux yeux d'une épouse vertueuse. Quelle est la surprise de Rhadamiste de trouver vivante une femme dont l'excellente beauté a fait tous les crimes, et dont l'excès de la passion d'un mari farouche a cru mettre en sûreté la fidélité et l'honneur par des précautions barbares, et sans exemple ? En effet, pour empêcher que dans la déroute de son armée Zénobie ne tombât entre les mains d'un ennemi vainqueur, Rhadamiste la jeta dans l'Araxe, après l'avoir crue morte sous les coups pressés d'une main sanglante : l'atrocité de l'action confondue avec ce signe singulier de reconnaissance et présente à l'esprit du spectateur, a fait à la quarantième représentation de la pièce le même plaisir qu'à la première. (D.J.)

RECONNOISSANCE, en Jurisprudence, signifie en général un acte, par lequel on reconnait la vérité de quelque point de droit ou de quelque fait.

Reconnaissance se prend quelquefois pour une cédule ou billet, par lequel on reconnait devoir une somme à quelqu'un, ou que l'on est obligé de faire quelque chose.

RECONNOISSANCE D'ECRITURE PRIVEE est lorsqu'on reconnait la vérité d'une écriture ou signature privée.

Elle se fait devant notaire ou en justice.

Pour opérer la reconnaissance devant notaire, il faut qu'il en soit passé un acte, faisant mention de ladite reconnaissance.

Elle se fait en justice lorsque le porteur d'une promesse ou autre écriture privée assigne celui qui l'a écrite ou signée, à comparoir devant un juge compétent, pour reconnaître ou dénier l'écriture ou signature, et en cas de dénégation, être procédé à la vérification de cette écriture par experts.

Tout juge devant lequel les parties se trouvent en instance est compétent pour la reconnaissance et vérification d'une promesse ou autre écriture privée ; mais pour le principal, il faut se pourvoir devant le juge naturel des parties.

Les reconnaissances et vérifications des écritures privées se font partie présente ou duement appelée devant le rapporteur, ou, s'il n'y en a point, devant l'un des juges qui sera commis sur une simple requête, pourvu que la partie contre laquelle on prétend se servir des pièces, soit domiciliée ou présente au lieu où l'affaire est pendante, sinon la reconnaissance doit être faite devant le juge royal ordinaire du domicîle de la partie, laquelle doit être assignée à personne ou domicîle ; et s'il échet, de faire quelque vérification, elle se fait devant le juge où est pendant le procès principal. Ordonnance de 1670, tit. XII. art. 5.

L'édit du mois de Décembre 1680 porte que, par l'explait de demande, on peut déclarer que dans trois jours le défendeur sera tenu de reconnaître ou dénier l'écriture, sinon qu'elle demeurera tenue pour reconnue ; que si le défendeur dénie l'écriture, on procede à la vérification sur des écritures publiques et authentiques.

La reconnaissance d'une écriture privée faite devant notaire ou en justice, emporte hypothèque à compter de ce jour.

On procede aussi en matière criminelle à la reconnaissance des écritures privées et signatures.

Celles qui peuvent servir à l'instruction et à la preuve de quelque crime, doivent être représentées aux accusés ; et après serment par eux prêté, on les interpelle de déclarer s'ils les ont écrites ou signées, et s'ils les reconnaissent véritables.

Si l'accusé reconnait les pièces pour véritables, elles font foi contre lui sans autre vérification ; s'il les dénie, on les vérifie sur pièces de comparaison.

La procédure que l'on doit observer dans cette matière est prescrite par l'ordonnance de 1670, tit. VIII. et par l'ordonnance du faux. (A)

RECONNOISSANCE D'AINE ET PRINCIPAL HERITIER est une déclaration que des père et mère ou autres ascendants font par le contrat de mariage d'un de leurs enfants, par laquelle ils font en sa faveur une espèce d'institution contractuelle des biens qu'ils possèdent actuellement, et s'obligent à les conserver à cet enfant qu'ils reconnaissent en qualité d'ainé pour leur principal héritier.

L'effet de ces sortes de reconnaissances est réglé différemment par les coutumes. Voyez le traité des institutions et substitutions contractuelles de M. de Laurière, et le traité des conventions de succéder, par Boucheul. (A)

RECONNOISSANCE D'HERITAGES est une déclaration que l'on passe au terrier d'un seigneur pour les héritages qui sont tenus de lui à cens.

Les gens de main-morte sont aussi tenus de passer une reconnaissance pour les héritages qui ont été amortis, quoique ces héritages ne doivent plus de cens ni autres droits seigneuriaux ; c'est pourquoi cette reconnaissance s'appelle déclaration seche : elle sert à contracter la directe et la justice du seigneur.

Tout nouveau tenancier est obligé de passer à ses frais reconnaissance au seigneur : celui-ci peut même obliger ses censitaires à lui passer nouvelle reconnaissance tous les 30 ans, parce que cette reconnaissance supplée le titre primitif, et sert conséquemment à empêcher la prescription.

Le nouveau seigneur peut aussi demander une reconnaissance à ses censitaires, quoiqu'ils en aient déjà fait une à son prédécesseur ; mais en ce cas, la reconnaissance se fait aux frais du seigneur. Ferr. sur la quest. 417. de Guypape.

Une seule reconnaissance suffit pour conserver le cens ordinaire ou autre droit représentatif du cens ; mais pour autoriser la perception des droits exhorbitants, tels que des corvées, une seule reconnaissance ne suffit pas, il en faut au-moins deux ou trois quand le seigneur n'a pas de titre constitutif. Voyez AVEU, DECLARATION D'HERITAGES, TERRIER, Larocheflavin des droits seigneuriaux, la pratique des terriers, Henrys, Guyot. (A)